La Courneuve : Francesca, 17 ans d’errance et de bidonvilles

La Courneuve : Francesca, 17 ans d’errance et de bidonvilles

Par 25ansbidonvilles.org, 8 janvier 2016

Article du Parisien

Nathalie Perrier | | MAJ :

La Courneuve, octobre 2015. Francesca, 80 ans, vit depuis 17 ans dans des squats et des bidonvilles. (LP/N.P.)

La Courneuve, octobre 2015. Francesca, 80 ans, vit depuis 17 ans dans des squats et des bidonvilles. (LP/N.P.)

Plusieurs associations de terrain comme Médecins du Monde ou la Fondation Abbé Pierre ont lancé la campagne « 25 ans de bidonvilles » qui sera rythmée en 2016 par différentes rencontres et aussi la réalisation d’une charte pour le respect des droits et la dignité des occupants de terrains. Nous avons rencontré Francesca, une Roumaine de 80 ans qui a passé 17 années de squats en bidonville en France.

Elle sourit à l’évocation de ce souvenir. Le 15 octobre, Francesca Herman a fêté ses 80 ans sous une des tentes installées dans les jardins de l’hôtel de ville de La Courneuve suite à l’évacuation du bidonville du Samaritain le 27 août. « Trois autres personnes fêtaient leur anniversaire ce jour-là, raconte d’une voix douce ce petit bout de femme à l’énergie incroyable. Quand je suis rentrée du travail, à 21 heures, des habitants m’ont offert des fleurs, j’ai soufflé les bougies, on a mis de la musique… ».

Depuis 17 ans, cette retraitée roumaine à la frêle silhouette — que les habitués de la porte d’Orléans connaissent bien puisqu’elle y vend le journal L’Itinérant — vit à la rue, alternant squats et bidonvilles. Fin novembre, pour la première fois depuis bien longtemps, elle a trouvé un toit, temporairement.

Emue par son sort, une militante du comité de soutien de La Courneuve lui a proposé de l’héberger, le temps de souffler. Un répit de quelques semaines après des années d’errance. « Je suis venue en France en 1998 parce que j’étais très pauvre, explique Francesca. En Roumanie, plus jeune, j’avais travaillé 23 ans à la mine comme ouvrière qualifiée, au moulin à pierres (où on cassait les pierres utilisées pour remplir les trous creusés pour extraire le charbon, NDLR). Mais je n’avais droit qu’à une retraite de 130 €. C’était très dur ».

Les premiers temps, pour arrondir les fins de mois, avec son mari, chauffeur de bus, elle multiplie les allers-retours entre son village roumain et la Serbie. « On vendait des collants, de la soude pour fabriquer du savon… ». C’est lors d’un de ces voyages qu’elle rencontre une famille serbe qui vit en France. « Ils m’ont proposée de venir à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine) pour m’occuper de leurs enfants. Une de mes filles était décédée, l’autre avait fait sa vie. J’ai décidé, pour l’argent, de partir dans un pays que je ne connaissais pas, dans une famille que je ne connaissais pas. C’était en 1998. Mon mari m’a rejoint quelques années plus tard ».

Pendant quatre ans, elle joue les bonnes à tout faire auprès de la famille serbe à Chatenay-Malabry. « Je travaillais tout le temps, j’étais pas très bien payée, ils étaient un peu radins… Un jour, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a proposé de vendre l’Itinérant. J’ai décidé de partir ».

Désormais sans toit, elle rejoint des compatriotes roumains qui ont élu domicile dans une halle abandonnée, à Châtillon (Hauts-de-Seine). « J’y suis restée 7 ans. Puis on a été expulsés ». Après moultes recherches, Francesca finit par s’installer à Saint-Ouen, rue Ardouin, dans ce qui allait devenir le plus grand bidonville de France. « Les premiers jours, à Saint-Ouen, on a campé devant la mairie, puis on a rejoint ce bidonville rom. Les roms ont été très gentils avec nous », tient à souligner Francesca.

Mais, en septembre 2008, le bidonville est détruit. Francesca et son mari, qui souffre de graves problèmes de santé, font partie de la centaine de personnes autorisées à rester en France. « Ils nous ont envoyés à l’hôtel près de la gare de Mitry-Claye (Seine-et-Marne). Mais il n’y avait pas de bus tôt le matin. C’était difficile pour moi d’aller travaillerporte d’Orléans ». Une connaissance leur propose alors de s’installer dans un squat à Fresnes (Val-de-Marne). « Il y avait cinq familles avec nous. C’était près de la ligne de bus, c’était pratique », commente, pragmatique, Francesca.

La multiplication d’incidents à proximité du bidonville les contraints cependant à partir, une nouvelle fois. « On a été à l’hôtel quelque temps puis deux personnes qui, comme moi, vendent des journaux m’ont parlé du bidonville du Samaritain, à La Courneuve ». C’est là qu’en 2011 Francesca et son mari, depuis décédé, élisent domicile.

Le 27 août, son monde s’effondre à nouveau. « Quand je suis rentrée du travail à 21 heures, j’ai vu les bulldozers qui broyaient l’église qu’on avait construite. Tout le monde était parti. J’étais seule. J’ai commencé à trembler », raconte la voix brisée par l’émotion. Perdue, elle erre pendant trois jours et trois nuits dans les rues de La Courneuve à la recherche de ses compagnons d’infortune. Elle finit par les retrouver et s’installe avec eux devant la mairie dans une des tentes prêtées par des associations. Elle y restera jusqu’à la mi-novembre.

Après avoir en vain tenté de s’installer sur plusieurs terrains — dont l’un à Aubervilliers qui a brûlé —, la vieille dame est recueillie par une militante de La Courneuve. Elle fait depuis, avec l’aide des associations de soutien, des démarches pour obtenir un appartement thérapeutique. La fin d’une longue errance ?