Reportage L’Express – Expulsion des habitants du bidonvilles à Porte de Clignancourt le 3 février

Reportage L’Express – Expulsion des habitants du bidonvilles à Porte de Clignancourt le 3 février

Par 25ansbidonvilles.org, 3 février 2016

Entre 200 et 400 Roms évacués d’un bidonville insalubre à Paris

Geoffrey Bonnefoy, publié le , mis à jour le
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/a-paris-200-roms-bientot-evacues-d-un-bidonville-juge-dangereux_1759823.html

Entre deux cents et quatre cents Roms qui vivent dans un immense bidonville au nord de Paris, ont été évacués ce mercredi matin. Habitants et associations dénonçaient des solutions de relogement trop précaires. L’Express s’était rendu sur place.

Un campement où vivaient jusqu’à récemment entre 200 et 400 Roms, installés depuis juin sur les rails désaffectés de la « Petite ceinture », dans le nord de Paris, a commencé à être évacué mercredi matin. L’opération a débuté vers 7h15. La préfecture d’Ile-de-France assure que quelque 200 places en hôtel ont été réquisitionnées pour le relogement des habitants du bidonville.

Ce campement était jugé « dangereux » par Gérald Briant, l’adjoint au maire du 18e chargé des affaires sociales. « En cas de feu [et il y a des précédents en Ile-de-France, NDLR], il n’y a pas de possibilité de sortie rapide », justifie-t-il.

Un bidonville en sursis

Depuis le boulevard Ney, entre la porte de Clignancourt et celle des Poissonniers, le camp est quasi-invisible. Pour l’apercevoir, et y entrer, il faut s’approcher des grilles qui empêchent d’ordinaire tout accès à cette voie ferrée, inutilisée par la SNCF depuis longtemps. A trois endroits, le grillage a été découpé et des escaliers de fortune installés pour rejoindre le campement en contrebas.

De chaque côté des rails, sur une centaine de mètres, des « baraques » faites de bric et de broc s’alignent sur une centaine de mètres. « Tous le matériel [des palettes de chantiers, des portes, des plaques de contreplaqué, etc.], on l’a trouvé à Paris et dans les environs. Ensuite, on a acheté des clous et voilà », assure Varga* qui explique être arrivé ici il y a cinq mois avec sa compagne et son jeune fils. Sur les toits des fragiles constructions, des bâches en plastiques protègent le tout de la pluie, empêchées de s’envoler en cas de vent par des poussettes entassées et des carcasses de sapin.

Dans l’allée centrale, l’air est légèrement âcre, enfumé par les gaz qui s’échappent des cheminées des baraques. Les braseros constituent le seul moyen de chauffage. Saleté et ordre cohabitent tant bien que mal dans un capharnaüm dans lequel les enfants jouent allègrement et naviguent d’une maison à l’autre, laissant entrevoir les intérieurs, très disparates. Là, une « salle de jeux » a été aménagée.

Dans le « logement » attenant, seul un lit fait au carré trône au milieu de la pièce. Plus loin, une salle commune accueille une dizaine de jeunes qui se retrouvent pour fumer une cigarette autour d’un brasero surchauffant la pièce. A côté, une autre cabane regroupe plusieurs enfants captivés par des dessins animés sous l’oeil attentif de plusieurs mères.

Dehors, malgré la fine pluie qui commence à tomber ce mardi après-midi, les hommes s’attellent à déménager les groupes électrogènes. « Les flics vont arriver demain, tôt, j’en suis sûr. Ils diront ‘vous avez une heure pour partir’. En attendant, il faut mettre à l’abri ce qui peut l’être », explique Constantin*, un Roumain d’une trentaine d’années. Ce dernier n’habite pas dans le camp, mais par solidarité, il est venu

mettre à disposition son camion pour protéger ce qui peut l’être.

Des Roms de Roumanie… et des camps franciliens évacués

D’où viennent tous ces gens? Certains, comme Varga, assurent venir de Roumanie, membre de l’Union européenne. Un pays où il explique n’avoir ni travail, ni argent, ni logement, et duquel la France apparaissait comme un eldorado. Avec les galères pour se loger et trouver un travail, et l’expulsion imminente, il déchante. D’autres viennent de camps franciliens détruits récemment, comme celui de la Samaritaine, à La Courneuve, évacué puis rasé à la fin du mois d’août. Celui du boulevard Ney a alors agi comme un aimant, attirant celles et ceux qui se sont retrouvés à la rue après avoir accepté les solutions de relogement temporaires.

La pluie s’intensifie. Devant sa « maison », une mère de famille s’inquiète de l’avenir de son fils de 10 ans, scolarisé « à l’école porte de Clignancourt. Si le camp est détruit, que va-t-il devenir? » La rumeur d’une expulsion imminente, elle l’a entendue elle aussi. Mais elle ne sait pas comment s’y préparer. Faire ses valises, mais pour aller où?

15 jours d’hôtel, et après?

« Les habitants du bidonville se sont vu proposer deux semaines d’hébergement en hôtel [par la préfecture de la région Ile-de-France, NDLR], explique le Secours catholique, dont plusieurs bénévoles arpentent l’allée centrale depuis l’an dernier, pour aider et soutenir les familles Roms. Après, c’est le flou. Le relogement est potentiellement renouvelable, mais pour combien de temps? Personne n’a pu répondre à nos questions », tempête l’association, qui plaide pour un report de l’expulsion. « En plein hiver, ils vont être dispatchés aux quatre coins de la région. Une situation qui ne va pas convenir aux

familles dont les enfants sont scolarisés dans le 18e, ni à ceux qui travaillent », déplore le Secours catholique qui trouve le timing trop serré. « D’autant que certains habitants ont fait part d’un projet de constructions de cabanes sur un terrain, pour se stabiliser. Mais cela demande du temps. »

Chez les Roms, on se résigne. Et on imagine un avenir sombre, précaire. « On va être relogé, puis expulsé. On va errer dans les rues de Paris avant de trouver un nouveau point de chute, voilà comment ça va se passer », prédit Varga, du haut de ses 25 ans. « Excusez-moi, je dois y aller, mon fils m’attend et je voudrais faire quelques valises. » La pluie redouble d’intensité. L’allée centrale, trempée, est désertée. Bientôt pour de bon.

* prénom d’emprunt