REPORTAGE « De l’intérieur : les derniers jours du bidonville des Poissonniers »

REPORTAGE « De l’intérieur : les derniers jours du bidonville des Poissonniers »

Par 25ansbidonvilles.org, 10 février 2016

ITélé- France – Publié le 04 février à 18:54 – Mis à jour le 05 février 2016 à 17:44

Les CRS sont intervenus ce mercredi à l’aube pour évacuer des dizaines de Roms installés depuis des mois sur une voie de chemin de fer désaffectée à Paris. Le Bidonville situé entre les portes des Poissonniers et Clignancourt était devenu le lieu de vie de près de 400 personnes par moments. Nous avons partagé les derniers jours de Pedru, Raluca, Barbra ou encore Dumitru dans ce bidonville.

Evacuation du bidonville des Poissonniers, mercredi 3 février. Crédit : Arnaud Fonquerne

5h30 ce mercredi matin. Le long des rails désaffectés de la petite couronne, un feu de bois crépite déjà. Les derniers habitants du bidonville s’activent « La police va arriver, ils vont tout casser, dépêchez-vous ! » s’écrie l’un d’entre eux. Les bras chargés d’énormes valises, des hommes dévalent la rampe d’accès pour évacuer le bidonville. Sur les quelques 300 à 400 habitants, seule une centaine de personnes est encore là. Déboussolées, elles ne savent pas trop à quoi s’attendre : « des personnes sont venues vers moi pour me demander si les bus allaient les emmener au poste de police ou à l’hôtel » explique Livia Otal, coordinatrice de la mission bidonville de Médecins du Monde. La Mairie a pourtant envoyé son équipe de recensement à trois reprises ces derniers jours. Leur mission : relever le nombre, l’identité et la composition des familles désireuses d’être relogées à l’hôtel. Mais sans interprète. A 6h, les forces de police s’installent petit à petit. Seuls les habitants qui espèrent un hôtel sont encore là.

Les forces de l’ordre ont procédé à l’évacuation des habitants du Bidonville à 7h ce mercredi 3 février. Crédit : Arnaud Fonquerne

Il faut dire que la rumeur de l’expulsion s’était répandue comme une trainée de poudre. Le bidonville de la petite ceinture, situé sur l’ancienne voie de chemin de fer entre la porte de Clignancourt et la porte de la Chapelle, va être rasé « incessamment sous peu » a affirmé la Mairie du XVIIIème arrondissement de Paris.

Habitués aux expulsions, ses habitants n’ont pas tardé à réagir. Et ce dès jeudi dernier. « On fait nos valises et on envoie nos affaires en Roumanie, pour être sûr de ne rien perdre cette fois-ci » expliquent plusieurs habitants du bidonville, tout en chargeant leurs affaires dans un grand camion. Des fillettes jouent à colin-maillard et posent devant les appareils photos des journalistes. L’ambiance est encore bon enfant.

Lundi, J-2 avant l’expulsion. Les habitants ont tenté le tout pour le tout. Avec le soutien de plusieurs associations réunies au sein du collectif « 25 ans », ils ont décidé de manifester devant la Mairie du XVIIIème arrondissement

VidéoManifestation contre l’expulsion du bidonville… par ITELE

Peine perdue. Petru, Raluca et les autres n’ont pas réussi à sauver leur bidonville. Mais les habitants ne perdent pas le moral. Les braises crépitent. De jeunes garçons aux cheveux de jais ont allumé un barbecue. Malgré les circonstances, ils sont d’humeur joviale:

De toute façon, notre bidonville va être détruit, alors autant faire un dernier barbecue.

L’odeur des mititei (NR : boulettes de viandes typiques de Roumanie) et des saucisses embaument l’air. Beaucoup de fumée s’échappe du bidonville. Ici, nombreux sont ceux qui cuisinent à l’air libre.

Raluca Soare, Bidonville des Poissonniers le 1er février. Crédit : Arnaud Fonquerne.

Ils sont fatigués de devoir tout reconstruire, tout recommencer à zéro. C’est le cas de Raluca. A 25 ans, cette maman de 3 enfants enchaine les bidonvilles :« Je suis en France depuis bientôt 8 ans. Grâce à des amis, je me suis installée dans un bidonville d’Argenteuil. » Quatre mois plus tard, leurs cabanes sont détruites et le couple est renvoyé en Roumanie. De retour en France, ils s’installent dans un autre bidonville, à Pantin, avant d’être expulsé 3 mois après pour se réinstaller, à Bobigny :

… puis j’ai vécu en bidonville à Pontoise, à Aubervilliers, Sarcelles, Porte de La Chapelle, Poissonniers…etc. Le 11ème bidonville, je ne sais plus où c’était mais il y avait plein de boue.

La jeune femme aimerait bien être hébergée à l’hôtel mais « jusqu’à présent, on ne m’a jamais rien proposé » assure-elle.

Barbra, au téléphone avec son père qui vit en Roumanie. Bidonville des Poissonniers, le 2 février. Crédit photo : Arnaud Fonquerne.

L’histoire de Barbra n’est pas très différente:

J’ai vécu 5-6 ans dans un bidonville en Italie. Mon fils est né là bas. Puis je me suis retrouvée seule, je n’étais pas mariée alors quand on a été expulsés, j’ai eu peur qu’on s’en prenne à moi et je suis partie.

Direction, la France. « Depuis, on a toujours vécu en bidonville. On a été à La Courneuve aussi, on y est resté pendant 1 an et demi avant qu’ils détruisent le bidonville ». Barbra et Dumitru ne sont pas les seuls à être passés par le bidonville de la Courneuve, le plus ancien de France, démantelé en août dernier. « Ici, on est beaucoup à venir du bidonville de La Courneuve »explique Barbra. Alors à l’idée d’être expulsée et de se retrouver à nouveau sur les routes, de nombreuses familles frémissent.

Dumitru Sorin, le 1er février, Bidonville des Poissonniers. Crédit photo : Arnaud Fonquerne

[Témoignage] Barbra : « On est en plein hiver et… par ITELE

La veille de l’expulsion, la tension est palpable. De nombreuses familles ont quitté le bidonville. L’équipe de la Mairie chargée du recensement n’a enregistré que 212 personnes. Les familles partent les unes après les autres. Une femme d’une quarantaine d’année s’inquiète :

J’ai rendez-vous demain à 9h aux urgences de l’hôpital, j’espère que ca ira.

Et elle n’est pas la seule. Les questions fusent. « Peut-on ramener de la ferraille à l’hôtel ? » Petru hésite. Accepter l’hôtel ou pas ? Quand il comprend qu’il devra trouver un autre moyen de subsistance s’il accepte l’hébergement à l’hôtel, il décide de reprendre la route.

VidéoUne expulsion pour un peu plus de précarité ? par ITELE

Au total, 80 personnes dont 19 mineurs ont accepté les propositions de relogement dans 3 hôtels du Samu Social en Seine-Saint-Denis, dans les Hauts-de-Seine et dans les Yvelines, selon la préfecture de police de Paris. Selon une source proche de la Mairie du XVIIIème « ce sont surtout les familles les plus pauvres qui ont accepté le relogement à l’hôtel ». Les autres ont préféré partir ailleurs, à la recherche d’un autre bidonville, pour vivre en communauté. 88 personnes du Bidonville sont installées sous des bâches dans les bois à Epinay. Elles ont reçu la visite des forces de l’ordre et sont menacées d’expulsion.

Camp d’Epinay menacé d’expulsion, vendredi 5 février.

Quant à Raluca, elle a été relogée avec son petit garçon et son mari dans un hôtel du Samu Social à Gennevilliers pour une durée de 15 jours renouvelables selon la préfecture.

Raluca dans sa chambre d’hôtel ce vendredi 5 février.

Reportage : Nastasia Tepeneag / Photo de une : Arnaud Fonquerne

http://www.itele.fr/france/video/de-linterieur-les-derniers-jours-du-bidonville-des-poissonniers-152497